Le Québec est en position idéale pour prendre la tête du marché croissant de l’hydrogène vert. Nous devons augmenter et accélérer nos investissements dans ce secteur pour éviter de céder notre avantage stratégique important à d’autres qui agissent de façon plus décisive.
L’hydrogène vert (H2) pourrait jouer un rôle important pour le climat et pour le Québec. Cette source d’énergie relativement peu coûteuse produite à l’aide d’électricité propre et par électrolyse pourrait devenir le principal moyen de décarboniser les secteurs de l’acier, de l’ammoniac, du camionnage, et du transport ferroviaire et maritime qui sont parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre du monde.
Le Québec a la possibilité de s’emparer d’une part importante de ce marché étant donné l’accès à l’hydroélectricité et la proximité de certains des plus grands centres métropolitains en Amérique du Nord où la demande potentielle en H2 est très importante. En misant sur les applications les plus prometteuses qui tirent parti de notre avantage compétitif naturel, Québec pourrait devenir un leader dans l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène vert, générant des bénéfices économiques et environnementaux pour plusieurs décennies à venir.
Nous sommes d’avis qu’actuellement, le Québec pourrait investir davantage dans ce marché. Alors que de nombreux gouvernements investissent des sommes considérables dans l’hydrogène – par exemple l’Allemagne (9 G$ USD) et l’Australie (1,2 G$) – le gouvernement du Québec a prévu seulement 20 M$ CAD en 2021-2022 pour les premières initiatives reliées à l’hydrogène. La planification stratégique au Québec et au Canada est également moins avancée que dans de nombreuses autres régions du monde. Alors que le gouvernement du Québec devrait publier une stratégie liée à l’hydrogène vert plus tard cette année et que le Canada a partagé une stratégie fédérale de haut niveau l’année dernière, d’autres marchés sont déjà en train de mettre en oeuvre leurs stratégies.
Pour éviter d’être exclus de ce marché stratégique et en croissance rapide, nous devons agir maintenant, de manière ciblée et réfléchie.
La demande en hydrogène vert augmente
Si l’hydrogène vert coûte actuellement plus cher que les alternatives grises (à base de combustibles fossiles, tel que le gaz naturel et le charbon), ses coûts devraient diminuer de 30 à 60 % au cours des dix prochaines années, grâce à la diminution du coût des énergies renouvelables et à la baisse des dépenses d’investissement dans les électrolyseurs (jusqu’à 66 % de réduction au cours de la prochaine décennie). D’ici 2040, le marché de l’hydrogène vert pourrait atteindre 290 G$
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Selon un prix de 2 $/kg
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à l’échelle mondiale. À elle seule, l’Amérique du Nord pourrait représenter jusqu’à 21 % de la demande annuelle estimée à 40 à 146 mégatonnes (Mt). La majorité de cette demande devrait venir d’industries à intensité élevée en GES telles que l’acier et le transport lourd.
Par exemple, plusieurs aciéries passeront du processus de fabrication plus traditionnel à hauts-fourneaux à un processus de réduction directe du minerai de fer (FRD) au four électrique à arc. Convertir un processus hauts-fourneaux à un processus FRD au gaz naturel permet de réduire les émissions GES de type 1 et 2 de 45%, alors que convertir à un processus FRD à l’hydrogène permet de réduire les émissions de 92%. Étant donné l’impact de cette technologie, plusieurs aciéries en Ontario se sont engagées à passer au procédé de réduction directe à l’aide de l’hydrogène vert et plusieurs projets pilotes de FRD à l’hydrogène sont déjà en cours en Europe. D’ici 2050, la demande en hydrogène vert dans le secteur de l’acier en Amérique du Nord pourrait atteindre 2 Mt (4 G$
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Selon un prix de 2 $/kg
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) par année avec 125 kt de cette demande provenant du Québec seulement. En construisant l’infrastructure nécessaire aujourd’hui, le Québec pourrait devenir un exportateur net de fer préréduit à l’aide de l’hydrogène vert. Contrairement à d’autres régions qui dépendent d’une source d’énergie renouvelable intermittente, le Québec jouit d’un approvisionnement continu en hydro-électricité. Cet avantage, en plus de nos réserves importantes de minerai de fer, place le Québec en bonne position pour produire du FRD à l’hydrogène et jouer un rôle de premier plan dans la décarbonisation de l’industrie de l’acier.
Alors qu’ils accélèrent leurs efforts de décarbonisation, plusieurs sociétés de transport maritime sont en train d’évaluer le potentiel des carburants dérivés de l’hydrogène, comme le méthanol et l’ammoniac. D’ici 2040, nous estimons que la demande en hydrogène chez les expéditeurs nord-américains pourrait atteindre 1,4 Mt (2,8 G$
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) par an et pourrait atteindre 4,4 Mt (8,8 G$
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) d’ici 2050. Une stratégie visant à accroître la production d’hydrogène au Québec pourrait nous aider à nous emparer d’une plus grande part de cette demande.
L’hydrogène jouera aussi probablement un rôle important pour les secteurs du transport lourd et ferroviaire. Étant donné que les piles à combustible H2 pèsent moins qu’une batterie électrique classique, occupent moins d’espace de chargement et peuvent être ravitaillées jusqu’à 15 fois plus vite que leurs homologues électriques, elles permettent aux compagnies de transport lourd et ferroviaire une plus longue autonomie et un temps de ravitaillement plus court. Ainsi, bien que l’électricité soit avantageuse pour les véhicules utilitaires légers en Amérique du Nord, les véhicules de transport de marchandises, les autobus et les autres moyens de transports lourds devraient passer à l’hydrogène au cours des prochaines années. Pour le transport lourd, nous estimons que la demande au Québec et dans les régions avoisinantes pourrait atteindre entre 40 et 190 kt par année d’ici 2030 (voir la figure 1). Il existe aussi une réelle occasion pour le Québec de soutenir l’hydrogène dans le secteur ferroviaire en investissant le long de la chaîne de valeur, de la conception du moteur de la locomotive à l’infrastructure de ravitaillement, en passant par le service et l’entretien des trains.
Investir dans l’hydrogène vert peut favoriser la prospérité à long terme du Québec.
D’importants avantages économiques pourraient émerger avec l’hydrogène vert au Québec.
Ces avantages deviendront de plus en plus importants à mesure que l’infrastructure, les partenariats et l’écosystème en général deviendront plus matures. Le Québec peut jouer un rôle dans l’intégralité de la chaîne de valeur, de la production d’hydrogène et de produits dérivés de l’hydrogène (par exemple, de l’ammoniac, du méthanol ou du carburant durable pour le secteur de l’aviation) jusqu’au développement de la technologie et des équipements nécessaires pour produire et distribuer l’hydrogène. Le Québec bénéficie de trois avantages concurrentiels qui peuvent l’aider à devenir un chef de file de la production d’hydrogène vert dans une perspective durable.
- Le premier est le coût — Étant donné l’accès à l’hydroélectricité, la production d’hydrogène vert pourrait coûter 50% moins cher au Québec que dans les régions voisines de l’Ontario et de la Nouvelle-Angleterre. Les coûts de production potentiels au Québec se situent également à l’extrémité inférieure de la fourchette moyenne des coûts à l’échelle mondiale, qui oscillent entre 3 $ et 6,5 $/kg
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Assume un électrolyseur à grande capacité (~250MW)
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Assume un électrolyseur à grande capacité (~250MW)
. Même si cet avantage demeure solide aujourd’hui, d’autres pays comme l’Australie et l’Arabie saoudite sont en train de combler l’écart. De plus, les régions voisines investissent de plus en plus dans l’offre d’une énergie propre à moindre coût et, bien que leur horizon de réduction de l'écart soit plus long, nous devons agir maintenant pour tirer parti de notre avantage. Nous devrions aussi utiliser notre avantage dans la production d’hydrogène pour développer toute la chaîne de valeur, de la production de FRD à l’hydrogène vert au design de wagon ferroviaire pour transporter des dérivés de l’hydrogène, solidifiant ainsi notre position avantageuse avant que d’autres régions deviennent plus compétitives en réduisant leurs coûts de production.
- Le deuxième est la proximité — D’ici 2030, l’Ontario, l’État de New York et la Nouvelle-Angleterre devraient consommer jusqu’à 150 kt (300 M$) de H2 par année incluant la demande des industries lourdes (voir la figure 2) et du transport lourd (voir la figure 1). La proximité du Québec à ces centres de demande potentiels nous donne un avantage compétitif important étant donné que le transport d'hydrogène pur sur 1 000 km, que ce soit par camion ou par pipeline, peut augmenter le coût de plus de 50%.
- Le troisième avantage est la rareté. Pour de nombreuses entreprises de l’industrie lourde et du transport en Ontario et en Nouvelle-Angleterre, l’hydrogène vert peut constituer l’option la plus pratique étant donné le coût du H2 vert d'origine locale et les options limitées de capture, d'utilisation et de séquestration du carbone.
C’est le temps d’agir
Le temps est venu pour le Québec de tirer parti de nos atouts en misant, sur les applications qui nécessitent un approvisionnement continu en hydrogène vert et évitant d’investir dans des applications qui ont peu de chances de réussir comme les piles à hydrogène pour les véhicules légers. Nous devons nous concentrer sur les opportunités à court terme tout en tirant notre épingle du jeu du côté des opportunités à plus long terme présentant un potentiel important mais un risque plus élevé. Pour aider le Québec à se hisser en tête du peloton, pendant que nos concurrents tentent encore de mettre en place un accès comparable à une énergie renouvelable à faible coût, nous recommandons les trois priorités suivantes.
- Adopter une approche stratégique et réaliser les investissements qui s’imposent. Plusieurs pays industrialisés ont élaboré des plans stratégiques pour l’hydrogène vert. Le Japon, par exemple, a défini des objectifs concernant la part de l'hydrogène dans le bilan énergétique total et le nombre de véhicules à pile à combustible que les industries devraient employer, et il utilise ces informations pour fixer des objectifs d'importation et de production, d'hydrogène. D’autres pays tels l’Allemagne ciblent la chaîne de valeur de l’hydrogène vert au sens large en investissant dans des infrastructures de soutien à cette industrie tel que les locomotives à hydrogène et les produits finis tels que de l’« acier vert ». Les stratégies les plus perfectionnées prévoient des réglementations favorables à l’hydrogène vert et des incitatifs fiscaux, comme le crédit d’impôt proposé aux États-Unis pour la production d’hydrogène vert. Le Québec pourrait adopter une approche qui lui permettrait de définir un rôle ciblé pour l’hydrogène vert dans la décarbonation de notre économie, ainsi que les possibilités d'exportation et d'autres possibilités le long de la chaîne de valeur. Conjugués à une réglementation favorable, les investissements stratégiques dans la production d’hydrogène pourraient donner à l’industrie sidérurgique et à d’autres secteurs la confiance dont ils ont besoin pour soutenir l’industrie de l’hydrogène et considérer le Québec comme un partenaire et fournisseur clé. Nous pourrions ainsi renforcer notre présence dans des secteurs établis – tels que celui de la production de FRD – et tirer profit des nouvelles industries à haute valeur ajoutée, comme celle de la production d’ammoniac et de méthanol pour le transport maritime.
- Poursuivre le lancement de projets de démonstration et de programmes pilotes dans les secteurs clés. Pour les secteurs public et privé, il est crucial d’investir dans des projets pilotes tout au long de la chaîne de valeur. Par leur ampleur et leur maturité, ces projets contribuent à stimuler le lancement de nouvelles initiatives dans l’ensemble de l’écosystème. Les projets pilotes permettent également au Québec de demeurer concurrentiel. En 2021, l’Allemagne a annoncé le financement de 62 projets axés sur l’hydrogène vert à grande échelle dans l’ensemble de la chaîne de valeur, incluant des projets pilotes. Le pays espère ainsi devenir un chef de file des technologies de l’hydrogène. Aux États-Unis, le programme Catalyst du réseau Breakthrough Energy, s’associe avec le département de l’Énergie et des organismes de l’Union européenne et investit des milliards de dollars dans des projets pilotes reposant sur l’hydrogène vert et d’autres technologies renouvelables. Les programmes pilotes, qu’ils relèvent du secteur public, du secteur privé ou des deux à la fois, jouent également un rôle essentiel. Ces programmes démontrent le sérieux du Québec face au potentiel de l’hydrogène et contribuent à la recherche et au développement en faisant émerger des innovations qui se traduisent par une réduction des coûts de production et rendent possibles d’autres formes de différenciation concurrentielle sur le marché.
- Promouvoir les projets et partenariats à l’intérieur et à l’extérieur du Québec. De nombreuses administrations et entreprises ont déjà entamé des discussions avec des partenaires potentiels à l’étranger. Par exemple, l’Australie s’est lancée activement à la recherche de partenaires et a conclu des accords d’exportation en Asie du Nord-Est. Le Japon et la Corée du Sud aménagent des plaques tournantes en Australie pour soutenir leurs marchés d'exportation et leur approvisionnement national d’hydrogène vert. Le gouvernement et les entreprises du Québec pourraient adopter une approche similaire en finançant ou en cofinançant des projets avec d’autres partenaires du secteur public et du milieu des affaires. Les efforts de promotion hâtifs sont particulièrement importants pour les entreprises de l’industrie lourde et des transports, qui doivent planifier leurs investissements de capitaux et leurs décisions stratégiques sur 10, 20 et même 30 ans.
L’hydrogène vert représente une occasion en or pour le Québec. Toutefois, pour que la province puisse en tirer parti, il faudra que l’industrie, les investisseurs et le gouvernement travaillent ensemble en faisant des paris audacieux et en misant sur une stratégie claire, des projets pilotes et des partenariats. Ce faisant, ils enverront des signaux cruciaux sur le marché et donneront aux acteurs de l’écosystème la confiance dont ils ont besoin pour soutenir l’hydrogène vert dans leurs plans de transition climatique, sachant qu’ils disposeront des infrastructures, des partenaires et des ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins. Le Québec est actuellement dans une position avantageuse. Est-ce que nous saurons agir assez rapidement pour en profiter avant que les autres régions nous rattrapent?