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Milton, Hélène, Chido… Les ouragans se sont enchaînés depuis le mois de juin 2024, rendus de plus en plus fréquents et destructeurs par le changement climatique. Partout dans le monde, ses effets sont désormais tangibles. La trajectoire visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici 2050, fixée par l’Accord de Paris, s’éloigne de plus en plus. À mesure que les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, les événements extrêmes se multiplient, entre tempêtes, inondations et sécheresses. Les évolutions plus structurelles, comme la montée du niveau des océans ou la hausse des températures, accélèrent.

Ces risques physiques menacent les entreprises à plusieurs égards. Ils peuvent peser directement sur les actifs et les infrastructures (déficit de production de plusieurs milliers de véhicules pour Volkswagen en 2023 provoqué par les inondations de certains sites, arrêt temporaire de deux usines General Motors après l’ouragan Hélène...). Ils ont aussi des conséquences indirectes en perturbant les chaînes d’approvisionnement. Les inondations frappant un fournisseur de Porsche ont, par exemple, causé une perte de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires. Disponibilité de la main d’œuvre, primes d’assurance, coûts de financement sont aussi impactés par ces évènements.

La capacité d’une entreprise à s’adapter devient clé pour assurer sa compétitivité. D’une part, l’adaptation est une question de survie (ou a minima, de maîtrise des coûts) pour beaucoup d’entreprises qui doivent protéger leur bilan et leur marge face au risque climatique (jusqu’à 25% de pertes d’EBITDA dans un scénario à 2°C). D’autre part, l’adaptation engendre aussi de nouveaux besoins. À court terme, c’est un marché pour les entreprises « apporteuses de solutions » capables d’aider les acteurs publics comme privés à renforcer leur résilience. À plus long terme, c’est une piste pour toutes les sociétés capables de renforcer leur positionnement en intégrant, dans leur stratégie, l’évolution des comportements des consommateurs, de la disponibilité des ressources ou de l’accès à certains territoires.

1. PRENDRE CONSCIENCE DE L’ENJEU DES RISQUES

Historiquement, les financements climatiques se sont concentrés sur l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. En 2022, seulement 5% des flux de financement climatiques étaient destinés à l’adaptation. Le secteur public y joue un rôle clé (98% des financements), tandis que l’implication du secteur privé reste limitée. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : la faible rentabilité perçue des mesures d’adaptation, l’exposition jusqu’alors limitée de certaines entreprises aux risques physiques (en raison de leur secteur ou de leur positionnement sur la chaîne de valeur), leur capacité financière à absorber à court terme les coûts des catastrophes et l’incertitude des scénarios climatiques.

Mais de plus en plus d’entreprises prennent conscience de l’enjeu stratégique de l’adaptation. Elles étaient quatre fois plus nombreuses en 2023 à mesurer les impacts des risques climatiques qu’en 2020. Les investissements pour y répondre ont doublé sur la même période, à périmètre constant. Cette dynamique est soutenue par le renforcement des incitations réglementaires, l’expérience directe ou indirecte de crises climatiques et la demande grandissante des parties prenantes (clients, partenaires, investisseurs...).

Des tendances communes apparaissent dans la façon d’évaluer les impacts et de répondre aux risques physiques. Ces derniers ont des conséquences sur la marge et le bilan en diminuant le chiffre d’affaires (environ 40 % des impacts attendus), en endommageant les actifs (20 à 25 % des impacts), en augmentant la base de coûts (20 à 25 % des impacts) ainsi que les coûts de financement (environ 10 % des impacts). Les mesures mises en œuvre par les entreprises pour qualifier les risques et s’en prémunir se concentrent aujourd’hui sur la cartographie et la quantification des risques, la protection des infrastructures et le renforcement de la couverture assurantielle. En parallèle, des leviers opérationnels spécifiques aux secteurs sont activés, réduisant la vulnérabilité de certaines filières déjà très exposées. Citons, par exemple, les systèmes d’agriculture de précision pour réduire l’impact du stress hydrique.

La façon d’appréhender l’adaptation diffère encore selon les entreprises, y compris au sein d’un même secteur :
  • Elles sont 60% à se concentrer sur l’anticipation des évènements extrêmes sans se pencher sur les évolutions plus structurelles.
  • Le montant des investissements dans l’adaptation en pourcentage des revenus peut varier d’un facteur de 1 à 10 au sein d’un même secteur, proportionnellement au chiffre d’affaires. Certaines industries sont déjà fortement affectées et sensibles au sujet (agriculture, immobilier...).
  • Une partie des acteurs considèrent l’adaptation comme une occasion de renforcer leur proposition de valeur et leur avantage compétitif. Dans l’énergie ou les infrastructures, certaines entreprises se différencient en proposant des équipements capables de résister aux évènements climatiques extrêmes (forte température, intempéries, etc.) et garantissent ainsi une meilleure continuité de service à leurs clients.
Les dirigeants qui se penchent sur le sujet de l’adaptation sont confrontés à de nombreux défis. Ils doivent composer avec le manque de données fiables, l’hétérogénéité des méthodologies et des indicateurs ainsi que la faible attractivité financière de certains projets. Cela explique en partie la disparité de niveaux de maturité constatés.

2. METTRE EN MOUVEMENT L’ORGANISATION

À défaut d’une réponse anticipée, les entreprises vont se fragiliser.

Les dirigeants sont appelés à définir la feuille de route et à mettre en mouvement l’ensemble de l’organisation.
  • Qualifier et quantifier les risques climatiques est la première étape pour les comprendre et les prioriser. Des outils existent (données, modèles, taxonomie, IA...), à même d’aider les équipes dans l’analyse des scénarios climatiques.
  • Mobiliser les entités pertinentes à chaque étape, depuis l’identification des risques, jusqu’à la définition des mesures d’adaptation (mitigation du risque, saisie des opportunités), le financement, le déploiement et le suivi de ces mesures.
  • Piloter au niveau de la direction. Conseils d’administration, de surveillance et comités exécutifs jouent un rôle central. Ils portent la vision, assurent la coordination entre les différentes entités et effectuent les arbitrages nécessaires.
  • Mobiliser l’innovation technologique, tant pour anticiper et évaluer les risques que pour proposer des solutions (gilets rafraîchissants pour les travailleurs, agriculture régénérative, géothermie, bétons cicatrisants, etc.) Les dirigeants devront opérer des changements profonds pour retrouver une perspective de long terme.
  • Faire évoluer la notion de retour sur investissement. Sa définition actuelle pénalise les projets d’adaptation. Elle doit être repensée pour tenir compte du coût de l’inaction. Il faut intégrer le risque à l’équation économique en se fondant sur les scénarios climatiques, les données météorologiques et les expériences passées.
  • Entretenir des marges de manœuvre opérationnelles et financières pour répondre aux bouleversements soudains. Cela passe par une gestion de portefeuille de produits et de services dynamique, susceptible de diluer le risque, par la diversification des fournisseurs ou encore par la revue des coûts et des processus.
  • Se préparer à la gestion de crises liées aux catastrophes climatiques. Cela suppose de former des équipes capables de déployer localement les solutions pertinentes (sécurité du personnel, protection des actifs...).
  • Intégrer l’incertitude. Les risques climatiques sont par définition incertains, complexes car interconnectés et pondérés par les mesures d’atténuation. L’entreprise peut néanmoins apprivoiser cette incertitude (grâce à la modélisation, à l’IA...) et l’intégrer à ses processus de décision.
Les feuilles de route Adaptation et Atténuation ne sont pas indépendantes et des synergies existent. Les solutions sont souvent complémentaires (en matière d’efficacité énergétique ou de résistance des infrastructures, par exemple), même si des arbitrages entre atténuation et adaptation peuvent s’avérer nécessaires (notamment en cas de conflit sur l’utilisation de ressources). Sans une réponse anticipée et coordonnée, les entreprises s’exposent à la mal-adaptation. De mauvais choix peuvent se révéler inefficaces sur le long terme, voire accroître leur vulnérabilité ou transférer les risques vers d’autres parties prenantes.

3. METTRE EN MOUVEMENT L’ÉCOSYSTÈME

  • Intégrer l’adaptation climatique à des stratégies de résilience plus larges, notamment à la recherche d’un nouvel équilibre des chaînes d’approvisionnement. Ces dernières sont confrontées à des perturbations géopolitiques, sanitaires, et économiques aboutissant à des hausses des prix des matériaux et des retards de livraison. Vouloir davantage de stabilité invite à recomposer certaines chaînes de valeur, en relocalisant ou en révisant le portefeuille de fournisseurs. Mais cette approche globale demeure encore sous-estimée par les entreprises. Elles sont moins de 20% à évaluer leurs risques physiques à la fois en amont et en aval de leurs opérations.
  • Coopérer localement pour accélérer le déploiement des mesures d’adaptation. Les risques physiques sont localisés. Entreprises, populations et acteurs publics sont donc exposés aux mêmes menaces et les réponses sont souvent complémentaires. La coopération peut aussi bien porter sur l’anticipation de ces risques par des alertes météorologiques, sur la définition des mesures d’adaptation (environ 90 pays disposent d’un Plan National d’Adaptation, décliné en sous-régions), que sur le financement (beaucoup de projets d’adaptation étant capitalistiques, partager avec des co-financeurs privés ou publics donne accès à davantage de solutions). La coopération avec le secteur public revêt une importance particulière, car celui-ci joue un rôle clé dans le financement de projets d’adaptation.
  • Embarquer le secteur financier privé pour lancer et financer les projets d’adaptation. Ces derniers ont longtemps été relégués par manque de rentabilité. Or, nombre d’entre eux représentent désormais des opportunités commerciales rentables (directement ou indirectement, en investissant dans des entreprises « apporteuses de solutions »). Financiers et assureurs sont aujourd’hui les acteurs les plus matures pour quantifier et qualifier l’impact économique des risques climatiques. Ils peuvent exercer une influence considérable en fléchant leurs flux de capitaux et ceux de leurs clients vers des projets résilients. Et ils ont intérêt à partager leurs connaissances avec leur portefeuille de clients pour réduire le montant des primes ou le risque crédit.
Conclusion

D’après l’ONU, les politiques mises en place au niveau mondial permettraient de contenir la hausse des températures à +2.8°C d’ici 2100, bien au-delà donc de l’objectif fixé par l’Accord de Paris. Sans changement de cap, les menaces pesant sur les entreprises vont donc gagner en fréquence et en intensité. Et la pression sur les épaules des dirigeants pour décider de mesures d’adaptation ne fera qu’augmenter. Il est urgent pour les entreprises de définir un plan d’adaptation, à l’image de ce qui existe à l’échelle des États. D’abord parce que l’impact économique des risques physiques peut fortement détériorer la performance financière de l’entreprise – tant sur sa marge que sur son bilan. Ensuite, parce que le rôle du dirigeant est de construire la durabilité de l’entreprise, et que celle-ci repose à la fois sur la protection des actifs existants, l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement et de l’adaptation continue de la proposition valeur – au-delà de renforcer la résilience des entreprises, l’adaptation est une source d’innovation et d’avantages compétitifs. Enfin, parce que l’adaptation, lorsqu’elle est planifiée, est aussi une source d’atténuation, répondant aux engagements des entreprises en termes de décarbonation. Les plus promptes à s’emparer du sujet seront ainsi les plus à même de transformer ce risque en opportunité.